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Quand le bac était un « grand oral »…

Dès sa création, le bac est conçu comme un diplôme d'accès à l'université (ici, la Sorbonne). Shutterstock/Victor Kiev

C’est Napoléon Ier qui, en 1808, institue le baccalauréat tel que nous le connaissons. Avec une différence de taille par rapport à son organisation actuelle : à l’époque, l’évaluation des candidats repose sur une seule épreuve, un grand oral.

Pendant une demi-heure au moins, trois quarts d’heure au plus, les candidats sont interrogés sur « tout ce que l’on enseigne dans les hautes classes des lycées » (soit les deux dernières années du secondaire). Mais le baccalauréat est d’emblée conçu comme le premier palier de l’enseignement supérieur. « Les grades dans chaque faculté sont au nombre de trois : le baccalauréat, la licence, le doctorat », stipule en effet le décret impérial du 17 mars 1808. D’ailleurs, l’université intervient dans l’évaluation des candidats : le statut du 16 février 1810 précise qu’il doit y avoir au moins un professeur de faculté parmi les trois examinateurs requis – les autres pouvant être choisis au sein du corps des proviseurs et de leurs adjoints, les « censeurs ».

Le jury apprécie la qualité des réponses à l’aide de boules de différentes couleurs : le rouge signifie que l’examinateur se prononce pour l’admission, le blanc marque l’abstention et le noir un avis défavorable. Le nombre de candidats augmente assez vite. Si l’on compte 33 lauréats en 1809 – première session effective du baccalauréat, ce nombre passe à 666 l’année suivante puis à 1 026 en 1811. On atteint les 2 000 en 1816, les 3 000 en 1843, les 4 000 en 1850, les 5 000 en 1861 (date à laquelle la première bachelière, Julie-Victoire Daubié, est reçue).

Tirage au sort des sujets

Durant les treize premières années de ce baccalauréat purement oral, les examinateurs se contentaient le plus souvent d’une explication de texte, à laquelle ils ajoutaient quelques questions ad hoc.

Ensuite, à partir de l’arrêté du 13 mars 1821, le déroulé de l’épreuve se formalise :

« Les objets de l’examen seront tirés au sort. On rédigera à cet effet un tableau, en trois séries, des questions principales qui pourraient être posées sur les matières énoncées. La première série embrassera la connaissance des auteurs grecs et latins, et la rhétorique ; la seconde l’histoire et la géographie ; la troisième la philosophie. On déposera donc dans trois urnes des boules portant des numéros correspondant à ces questions ; et chaque boule qui sera extraite des urnes indiquera la question à laquelle le candidat devra répondre. »

Pourquoi opter pour le tirage au sort ? D’abord, le pouvoir central ne faisait pas vraiment confiance aux jurys locaux. Puis il s’agissait d’accorder une valeur nationale au baccalauréat. Comme l’a dit dans sa circulaire du 28 septembre 1820 le comte Siméon (président de la Commission de l’Instruction publique), « le grade de bachelier va ouvrir à toutes les professions civiles, et devenir, par conséquent, pour la société, une garantie essentielle de la capacité de ceux qu’elle admettra à la servir ».

Mais cela ne va pas sans une « nouvelle industrie », celle d’un entraînement intensif à ce type d’épreuves : « préparateurs », « fours à bachot », et surtout « aide-mémoires » entrent dans le paysage, permettant d’apprendre par cœur les réponses appelées par chacune des questions recensées. Sans compter les tentations et les tentatives d’une « industrie de la fraude », incarnée par les « passeurs ». En effet, il arrivait parfois que des candidats se fassent remplacer (clandestinement) au moment de l’examen. Un arrêté pris par le ministre de l’Instruction publique François Guizot en 1837 en dit long à ce sujet, puisqu’il renforce les procédures de vérification de l’identité des postulants.

Un nouvel enjeu : l’orthographe

En 1830, l’arrêté du 9 février prescrit que, « indépendamment des épreuves usitées jusqu’alors, tout candidat au baccalauréat sera tenu d’écrire instantanément un morceau de français, soit de sa composition, soit en traduisant un passage d’un auteur classique ». L’examen reste foncièrement une longue séquence orale, avec un petit moment dévolu à la vérification de la capacité orthographique des postulants. Il ne s’agit pas alors (pas encore) de l’introduction d’une vraie épreuve écrite dans l’examen. Cela n’aura lieu que dix ans plus tard, en 1840.

Ce moment d’écrit fugitif (et il est remarquable que cela commence par l’orthographe) est censé répondre à une préoccupation énoncée quelques années plus tôt dans une circulaire ministérielle :

« Nous devons avouer que nous recevons parfois des lettres ou des réclamations d’individus pourvus du grade du baccalauréat, et dont le style et l’orthographe offrent la preuve d’une honteuse ignorance. »

Le problème est-il pour autant en passe d’être résolu ? Rien n’est moins sûr si l’on en juge par les déclarations récurrentes, bien des années après, comme celle du doyen de la faculté de lettres de Clermont, en 1881 :

« Nous voudrions simplement rappeler aux candidats que la faculté désirerait ne plus avoir à corriger des fautes d’orthographe aussi nombreuses que stupéfiantes. »

Ou encore celle d’Albert Dury, dans L’Instruction publique et la démocratie, en 1886 :

« L’orthographe des étudiants en lettres est si défectueuse que la Sorbonne s’est vue réduite à demander la création d’une nouvelle maîtrise de conférences, dont le titulaire aurait pour principale occupation de corriger les devoirs de français des étudiants de la faculté de lettres. »

Un examen qui s’étoffe

En 1840, une véritable épreuve écrite à caractère éliminatoire et préalable à l’épreuve orale est substituée au « morceau de français » introduit en 1830 en plein cours de l’épreuve orale. Le règlement du 14 juillet 1840 en définit le principe :

« Quand on n’a pas pu, en deux heures et avec un dictionnaire, traduire convenablement en français une page de latin, il est superflu d’être interrogé sur des textes de Cicéron, d’Horace, de Tacite ou de Virgile. Il n’y aura qu’une seule épreuve écrite, mais cette épreuve sera décisive. »

L’épreuve orale (que l’on passe ensuite si l’on a réussi l’épreuve écrite initiale de version latine) est gardée avec son système de tirage au sort : une liste de 150 sujets pour l’explication de textes (d’auteurs grecs, latins ou français), et une liste récapitulant les 350 questions qui peuvent être posées par le jury.

L’écrit va s’alourdir peu à peu. En 1852 on ajoute une composition latine de trois heures à la version latine de deux heures. En 1864, le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy rajoute en sus une composition française sur un sujet de philosophie de quatre heures. Surtout, il supprime « l’appareil formidable de programmes, de questionnaires et de tirage au sort » qu’il juge blessant pour les examinateurs et nocif pour la qualité des études.

Au cours des années, les épreuves écrites et orales prennent de plus en plus d’ampleur et se diversifient, tant et si bien que l es décrets du 9 avril et du 25 juillet 1874 scindent en deux le baccalauréat es lettres :

  • À l’écrit de la première partie (passé en rhétorique, l’équivalent de notre classe de première) une version latine et une composition latine ; à l’oral, des explications d’auteurs grecs, latins, français et des interrogations sur la rhétorique et la littérature classique, l’histoire, la géographie.

  • À l’écrit de la deuxième partie (passée en classe de philosophie), une composition de philosophie et la traduction d’un texte de langue étrangère ; à l’oral, des interrogations sur la philosophie, les sciences mathématiques, les sciences physiques et naturelles, une langue vivante, l’histoire et la géographie.

On tient là l’architecture foncière du baccalauréat tel qu’il va être jusqu’au début des années 1960 (les autres baccalauréats s’alignant pour l’essentiel sur cette architecture, la division en deux parties n’étant instituée qu’en 1890 pour le baccalauréat es sciences). La prochaine réforme du bac prévoit un oral obligatoire de 20 minutes. Un retour aux sources pour cet examen qui, à sa création, se jouait sur l’audition de chaque candidat par un jury ?

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